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La potabilisation des eaux usées : une prouesse pleine de promesses ?

Singapour serait pionnière en la matière. En effet, la petite nation insulaire, en manque d’eau douce a développé un système très performant de traitement des eaux usées qui permet de les rendre à nouveau propres à la consommation. Un tel système pourrait-il être développé en Région de Bruxelles-Capitale, et à quel prix?

Afin de recycler ses eaux usées, Singapour a construit une usine de grande ampleur, mobilisant des technologies à la pointe de l’innovation telles que la microfiltration, la filtration membranaire et la nanofiltration. Les eaux retraitées couvrent déjà 40 % des besoins de Singapour qui était jusque-là entièrement dépendante des ressources en eau de la Malaisie. Une telle prouesse offre-t-elle des pistes propices à une utilisation plus durable et circulaire des eaux? La mise en place d’un tel système à Bruxelles est-il  désirable ? 

Un traitement complexe

La station d’épuration des eaux usées (STEP) de Bruxelles Sud, qui vient d’être rénovée, dispose déjà, comme celle de Singapour, d’un système de traitement membranaire qui lui permet d’extraire des eaux usées la plupart des bactéries et des particules microscopiques (tels que les micro plastiques). Par ailleurs, actuellement une partie des eaux usées traitées par cette station sont déjà réutilisées, mais à usage industriel seulement. Comme le souligne un des gestionnaires de cette usine, proposer un traitement des eaux usées encore plus performant supposerait un saut conséquent dans les technologies déployées comme dans les investissements requis. En effet, pour être considérées comme « potables », les eaux doivent répondre à des critères beaucoup plus exigeants que ceux requis à la sortie des stations d’épuration des eaux usées et donc être soumises à un traitement beaucoup plus sophistiqué.

Un coût important

La réutilisation des eaux usées a un coût (Singapour a investi plus de 6,3 milliards d’euros dans ses infrastructures de traitement), mais ce coût n’est pas seulement financier. Si en tendant à recycler à l’infini chaque goutte d’eau, le système mis en œuvre à Singapour pourrait, à première vue, apparaître comme la solution écologique au problème de la pollution et des ressources limitées en eaux, il ne faut pas oublier que pour pouvoir potabiliser les eaux usées, une telle usine consomme de très importantes ressources en énergie.

À titre d’exemple, selon un directeur de l’innovation du groupe Véolia, une station d’épuration traitant quotidiennement les eaux usées de 100 000 habitants a, en moyenne, une consommation énergétique équivalente à celle de 400 habitants, tout usage compris, ce qui est loin d’être négligeable1. Si certaines stations d’épuration sont aussi pourvoyeuses en énergie, en produisant par exemple du biogaz à partir de la digestion des boues d’épuration (comme c’est le cas dans la station d’épuration de Bruxelles Nord, qui a produit 13,5 GWh d’électricité en 2019) cette production ne compense généralement pas l’important besoin énergétique de ces infrastructures (elle ne couvre que 30 % des besoins dans le cas de la Station d’épuration Bruxelles Nord)2.

Station d’épuration Bruxelles Sud
Photographie de la Station d’épuration Bruxelles Sud, SBGE (actuelle HYDRIA), Photographie de Emmanuel MANDERLIER

De plus, les technologies de pointe comme celles employées dans la STEP de la cité-État insulaire reposent sur l’utilisation d’importantes quantités de métaux rares, des matières premières disponibles en quantité limitée sur terre, dont l’extraction devient toujours plus invasive, complexe, énergivores, dévastatrice et dont le recyclage reste peu probable, car trop difficile à mettre en œuvre3.  

Prévenir ou guérir ?

En définitive, le recours à des technologies plus performantes va généralement de pair avec une augmentation des coûts économiques et des ravages environnementaux et sociaux qu’elles impliquent. Comme souvent lorsqu’il est question de traitement de pollutions, la question n’est peut-être pas tant : comment traiter ces pollutions de manière plus performante que : comment réduire et limiter, à la source, la production de telles pollutions?

Cet article vous est proposé par Ananda Kohlbrenner. Elle est historienne et urbaniste. Ses recherches, réalisées à l’ULB, ont porté sur l’histoire du traitement des eaux pluviales et usées en Région de Bruxelles-Capitale. Elle est également une des commissaires de l’exposition Oh ! Ça ne coule pas de source.

1 Voir : LAPERCHE Dorothee, “Vers des stations d’épuration à énergie positive”, Actu environnement, 15 décembre 2015. [en ligne]
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 Voir : LAPERCHE Dorothee, “Vers des stations d’épuration à énergie positive”, Actu environnement, 15 décembre 2015. [en ligne]
3 Voir à ce propos : BIHOUIX Philippe, L’âge des low tech, Editions du Seuil, 2014.