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Bain ou douche, une pratique différenciée socialement

Institutions sanitaires méconnues, gommées par la généralisation de la salle de bain au tournant des années 1950-1970, les bains publics sont pourtant des témoins précieux d’une histoire de l’hygiène corporelle. Destinés par leur coût – le plus modeste possible – à la population la plus large possible, ils nous racontent la propreté des corps ordinaires.

C’est à partir de 1901 que les communes belges reçoivent des subsides de l’État pour construire ce genre d’établissement. C’est donc à partir de ce moment-là qu’il est véritablement question d’un service public. Cela dit, certains établissements sont construits dès le milieu du 19e siècle pour répondre au besoin de se laver de la classe ouvrière. Ils sont souvent le fruit d’un partenariat entre actionnariat privé et communes.

Les bains de Saint-Gilles
Les bains de Saint-Gilles

La piscine, la baignoire et la douche sont les trois dispositifs privilégiés pour répondre à ce besoin d’hygiène populaire. La douche n’est inventée qu’en 1872 et prendra une bonne décennie supplémentaire pour sortir du contexte carcéral dans lequel elle est créée. Elle devient ensuite, grâce à son fonctionnement – économe en temps, en eau et en espace – le dispositif d’hygiène populaire par excellence. Il apparait dès lors intéressant de se poser la question : quelle hygiène est accordée à quels corps en fonction des dispositifs accessibles ?

Dans les premiers établissements de bains publics, lorsque la douche n’existe pas encore, il existe souvent entre 2 et 3 classes de baignoires. Elles donnent, en fonction d’un prix d’entrée plus ou moins élevé, accès à des services différents et dont l’écart, en termes de confort, est énorme. Aux premières classes : chauffage, mobilier plus luxueux et gestion individuelle de l’eau. Aux deuxièmes classes : baignoire préparée à l’avance, impossibilité de régler la quantité et la température de l’eau, absence de chauffage et mobilier sommaire. Avec l’arrivée du bain-douche, la différence de tarif se reporte sur la différence entre les deux dispositifs. Sous les douches, le temps devient plus court, la position des corps est verticale et les possibilités de relaxation et de détente se rétrécissent.

Ces différences entre classes de baignoires, mais surtout entre baignoires et douches révèlent alors ce qui est accordé aux individus et à leur corps selon leur classe sociale et leur moyen financier. Aux plus riches, le confort d’une salle de bain dans leur logement, espace de luxe, de volupté et de liberté. Aux moins riches, la jouissance d’une baignoire publique. Aux plus pauvres, une douche au temps, à la température et à l’espace plus réglementés. Ce faisant, ce qui est refusé à ces derniers, c’est la possibilité d’associer à l’hygiène une forme de bien-être et de relaxation.

Loin d’être anecdotique, la différence entre baignoire et douche dans l’organisation des bains publics rappelle donc les inégalités qui traversent l’architecture et l’expérience du confort de la « masse des sans salle de bain », largement majoritaire en Belgique jusque dans les années 1970.

Article de Sophie Richelle, historienne et chercheuse post-doctorante à l’ULB ; et commissaire de l’exposition Oh ! Ca ne coule pas de source. Cliquez sur ce lien pour revoir sa passionnante conférence sur les bains publics.